L'apaisement des conflits en Mauritanie

 

Par  M.A. Boussery

Sénékouna est un ancien village du Brakna  au sud de la Mauritanie. Ses habitants issus de l’ethnie peulh y vivaient paisiblement depuis la nuit des temps. Essentiellement éleveurs de bovidés, raconte M. Abdoulaye Mbaré Sow, chef du village, «nous étions, parfois,  obligés de partir en quête de pâturages pour notre cheptel pendant les périodes de soudure. Notre transhumance ne durait jamais longtemps : un ou deux mois de  nostalgie pour le terroir. Chaque fois  que nous y revenions, notre village accueillant était intact et les domiciles et biens laissés sur place sains et saufs.  Sous l’œil vigilant de nos  voisins immédiats, un village maure à Médine, personne ne pouvait y toucher ».

Au-delà de leur diversité ethnolinguistique et culturelle,  les populations de Sénékouna et de Médine  dont les chefs étaient des ¨frères de lait¨ et des amis intimes, avaient noué, au fil du temps, d’excellentes relations de confiance et de bon voisinage.

Ainsi les habitants de Sénékouna allaient et revenaient dans la sérénité. Mais leur dernier retour sentait des relents différents. Le paysage avait changé. Une surprise attendait les revenants. Quelque chose d’inédit s’était passé à Sénékouna.

Heureux de fouler le sol de leur terre natale, ces villageois ont été frappés par l’ampleur des bouleversements qui ont touché le site. Les habitations étaient délabrées, les biens meubles et le cheptel avaient disparu. L’unique source d’eau, un puits non protégé, était devenue inutilisable. Ceux qui connaissaient mieux le site pouvaient bien se demander s’ils étaient réellement à Sénékouna ?

Il fallait dire que l’absence, cette fois-ci, n’était pas si courte comme d’habitude et  le motif n’était point la transhumance.

Pour les jeunes, poursuit  M. Abdoulaye Sow  «qui embrassent pour la première fois la terre de leurs ancêtres, la surprise était sans doute moindre. Ils n’ont pour référentiel que quelques bribes fugaces de ce que nous leur avons raconté. Ils sont alors pour les uns nostalgiques et pour les autres simplement heureux de participer à ce retour» organisé par les pouvoirs publics, vingt ans plus tard après l’expulsion des habitants de Sénékouna suite à un violent conflit interethnique qui a éclaté en avril 1989 et où la haine raciale et les règlements de compte ont fait leurs victimes.

Aujourd’hui, révèle M. Abdoulaye Sow, «nos deux communautés voisines, unies par l’Islam et que l’histoire et la géographie condamnent à vivre ensemble, ont repris, Dieu merci, leur cohabitation pacifique, basée sur le respect mutuel et l’intérêt commun. Nous remercions le programme pour son appui qui a contribué au rapprochement de nos communautés et à l’amélioration de nos conditions de vie.

En d’autres termes  M. Souleymane Ould Mahmoud, chef du village maure, exprime son ravissement : le programme a mis à notre disposons un marché communautaire et des équipements collectifs : borne fontaine, congélateurs, moulins à grains, etc. Nos AGR gérées par des comités issus des deux villages ont jeté des passerelles de rapprochement, de confiance et de paix entre nos deux communautés».

Le  F-OMD a lancé en 2009 un programme «Renforcement des capacités de prévention des conflits et de l'État de droit en Mauritanie» pour appuyer les efforts du gouvernement mauritanien en matière de promotion des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Le programme cible dans les zones à fort potentiel de conflits, les groupes vulnérables (femmes et jeunes) des habitants d’adwabas (villages des anciens esclaves) et des sites de rapatriés d’exil suite aux conflits interethniques de 1989.

Au-delà du renforcement de la cohésion sociale, le programme vise à contribuer à la réalisation de 2 OMD : réduire l’extrême pauvreté et la faim et promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes.

Articulant 9 ministères,  4 agences du SNU et plusieurs réseaux de jeunes et d’ONG, le programme  a été mis en œuvre dans un contexte particulièrement difficile. Depuis les années 70, le pays a connu, sous les effets conjugués de plusieurs facteurs, la  dégradation des conditions de vie des populations et  l’accentuation du chômage et de la pauvreté. Ajoutée aux sources classiques de conflits (accès à la terre et à l’eau),  la répartition inégale des ressources a aggravé le marasme et les tensions sociales.

En l’absence d’éducation citoyenne et de droits humains, ces facteurs ont  favorisé la survivance de préjugés sociaux et de pratiques discriminatoires où la prépondérance du facteur tribal et ethnique était perceptible au détriment du sentiment d’appartenance nationale.

Les Adwabas, restés en marge du développement, ont constitué des foyers de contestation et de tensions. Plus grave, les animosités latentes ont fait éclater en 1989, de sérieux problèmes de coexistence ethnique, à l’occasion d’un différend frontalier avec un pays voisin. Cet incident a déclenché des violences et de graves violations des droits humains. Il s’était traduit par des expulsions réciproques, au nombre desquels plusieurs  Mauritaniens renvoyés de leur propre pays.

Dans ce contexte, le  F-OMD  s’est d’abord attelé à l’amélioration de la connaissance des causes de conflits potentiels et à la compréhension des stéréotypes et obstacles socioculturels en matière de genre favorisant les discriminations et les situations conflictuelles.

Ses activités ont été ensuite centrées sur le renforcement des capacités nationales en prévention et résolution des conflits et la mise en place de mécanismes de médiation et de gestion des situations conflictuelles (réseau communautaire d’alerte précoce, femmes para-juristes, médiateurs formés et outillés, etc.). Une politique nationale de justice de proximité a été définie en partenariat avec les autorités compétentes. Dans de nombreux cas les communautés  ont utilisé ces mécanismes pour résoudre ou prévenir des conflits de manière pacifique.

La formation de personnalités influentes (élus locaux, leaders religieux, chefs de villages, femmes leaders, jeunes, etc.) et leur mise à contribution aux activités sensibilisation ont favorisé la prise de conscience par les populations ciblées du potentiel de conflits qui existe dans leur environnement et l’acquisition de notions essentielles de droits humains et de citoyenneté.

Pour favoriser l’intégration dans les zones ciblées, le F-OMD, a mis à la disposition de 58 villages répartis dans 4 régions, des ouvrages communautaires (marché, école, stade, borne fontaine etc.). Il  a créé  des AGR (boutiques, couture, teinture, maraichage, congélateur, moulin, etc.) cogérées par des comités mixtes issus des collectivités d’origine ethnolinguistique différente.

Favorisant l’autonomisation des femmes et des jeunes, ces AGR ont contribué à la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales. Devenues des lieux d’approvisionnement quotidien, elles ont constitué des espaces de rencontres et de dialogue qui ont permis aux habitants de renouer des liens d’amitié et de solidarité.

Par ailleurs, les  salles de classes construites et les aires de jeux aménagées ont servi de cadres d’intégration et de brassage pour les enfants et les jeunes issus de milieux socioculturels différents. Aujourd’hui, ces nouvelles générations se rencontrent chaque jour dans les mêmes écoles et les mêmes espaces de loisirs. Là, ils nouent, déjà, des liens d’amitié et de respect mutuel  en cultivant les germes d’affinités et d’affection.

Ce partage d’un même espace vital et donc d’un destin commun ont favorisé la vie en symbiose et l’union des forces pour faire face aux aléas d’une nature hostile.   Dans la paix et la cohésion sociale, les habitants de Sénékouna et Médine constituent, aujourd’hui, l’exemple d’une communauté d’intérêts et de respect, soudée par des liens affectifs.

M. Abdoulaye Sow, chef de village peulh, exprime sa satisfaction : «par l’entente et la solidarité, Sénékouna et Médine sont, désormais, un seul village. Le travail côte à côte dans des ouvrages communs, les rencontres et l’approvisionnement dans les mêmes lieux ont contribué au rétablissement de la confiance et à la reprise de  nos relations séculaires». 

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